Recréer des souvenirs avec l’IA. Des étudiants de l’Eikon ont plongé dans le passé de seniors

Des étudiants de l’Eikon ont plongé dans le passé de seniors
Ce projet a été mené en collaboration avec le Home médicalisé de la Sarine, et a été présenté lors de récentes portes ouvertes de l’Eikon.

Et si l’on pouvait recréer des souvenirs ? Les pêcher dans la mémoire pour les faire basculer dans le présent ? Une trentaine d’étudiants de l’école professionnelle en arts appliqués de Fribourg (Eikon) ont créé des images grâce à l’intelligence artificielle (IA), en se basant sur la mémoire de résidents du Home médicalisé de la Sarine, à Villars-sur-Glâne. Un projet mené en collaboration avec l’équipe d’animation, qui a coordonné la préparation des seniors et l’accompagnement des étudiants.

Quant à l’idée, elle vient de l’équipe de communication de l’établissement, qui songeait à habiller les murs dans le cadre du chantier d’agrandissement et de rénovation, et qui voulait mettre en contact des seniors « ayant beaucoup à transmettre » et des étudiants « ayant beaucoup à apprendre ». Il s’agissait aussi de faire d’une pierre deux coups, selon l’enseignant Luca Etter: travailler sur la photographie et la création de contenu via l’IA.

Rajeunir, ce défi

Dans sa chambre, Marie-Madeleine Cantin vient de recevoir son image. On la voit, plus jeune, sur un fond de montagne. « Elle m’a expliqué qu’elle s’y rendait quand elle était petite », commente Perrine Chablais, qui a créé l’image à partir d’un logiciel : « Il faut expliquer ce que l’on veut, comme si on commandait une œuvre à un artiste. »

Un exercice que chacun effectue différemment, selon Luca Etter: « Certains étudiants détaillent beaucoup, en décrivant par exemple la profondeur de champ, tandis que d’autres écrivent une phrase assez simple, comme « un couple dansant à la bénichon». Ils jettent ensuite les dés et voient ce que ça donne. Parfois, le résultat peut être décevant, même si la phrase est très détaillée, et vice versa. »

Assise vers l’entrée, Abigael Gapany fait partie de la première catégorie : « J'ai précisé l’époque, le cadrage et les plans, avec des buissons au premier plan, la famille au deuxième et la forêt au troisième. » L’image ressemble aux illustrations des albums de Martine, car elle n’a pas précisé qu’elle voulait un style réaliste, mais elle ne voulait pas faire plus de deux à trois essais étant donné le coût énergétique. Et de s’interroger… Pourquoi utiliser une technologie avec laquelle les personnes âgées ont peu d’affinité ? Emma Grossrieder, une autre étudiante, va dans le même sens. Pour elle, le « fait main » développe davantage la créativité.

Luca Etter confirme que la création d’une image via l’IA équivaut à charger son téléphone portable. «Nous sensibilisons les étudiants à cette thématique, mais nous devons leur montrer comment maîtriser l’outil, car ils y seront confrontés. Ils pourront ainsi l’utiliser en toute connaissance de cause.» Il rappelle qu’il s’agit de jouer à recréer un souvenir et de sortir du cadre scolaire pour travailler sur le terrain.

Certains résidents ne se sont pas reconnus dans les images et les ont refusées. Ce qui ne choque pas l’enseignant, étant donné qu’un souvenir reste par essence imprécis. Rajeunir une personne via l’IA demeure un défi, et il y a forcément une interprétation. A contrario, d’autres résidents, comme Solange Lauper, se montrent très intéressés : « Qu'est-ce qu’on peut faire, hein ? C’est formidable !» Installée au rez-de-chaussée, elle ne se souvenait plus de quoi elle avait « causé » avec Emma Grossrieder, qui avoue avoir été un peu nerveuse avant de rencontrer la retraitée – l’étudiante s’est vite rassurée.

Sur l’image, Solange Lauper se découvre plus jeune, dans la boulangerie où elle travaillait à Fribourg. Couleurs chaleureuses et pains appétissants, il s’agissait d’instiller un peu de bonne humeur, confie Emma Grossrieder. Ce n’est pas pour déplaire à Solange Lauper, qui commente : « Ça doit être le matin, comme les étagères sont bien remplies.» Avant de glisser malicieusement à ses voisines: « Avant, nous étions jeunes et belles. Maintenant, nous ne sommes plus que belles.»

« L’exercice a été adapté à tous types de résidents, car certains souffrent de troubles cognitifs ou moteurs » - Roxane Tinguely

Si le comptoir rappelle des souvenirs à Solange Lauper, elle dit ne pas trop ressembler à sa version IA. « J'avais une jolie photo, à l’époque, que je ne possède malheureusement plus », avoue celle qui salue le travail effectué, la gentillesse et le respect des étudiants. Elle s’est même rendue avec d’autres résidents aux portes ouvertes de l’Eikon où les images ont été exposées.

Exercice photographique

Les étudiants ont aussi tiré des portraits. Un exercice qu’Abigael Gapany a, a contrario, adoré: « J'avais amené une lumière rose, comme il s’agissait de la couleur préférée de la résidente avec laquelle je travaillais. Je lui ai demandé de prendre une fleur dans ses mains tout en racontant ses souvenirs, et j’ai ensuite recadré l’image pour qu’elle ait le style d’un détail. »

Référente du service d’animation, Roxane Tinguely précise que l’exercice a été adapté à tous types de résidents, car certains souffrent de troubles cognitifs ou moteurs. Une exposition temporaire aura prochainement lieu au home, tandis que Luca Etter se voit bien reconduire un jour l’exercice.

 

La Liberté - Mercredi 3 décembre 2025 
Texte : Lise-Marie Piller
Photo : Antoine Vullioud